Le droit de propriété est garanti par la constitution Sénégalaise. En effet, nul ne peut, en principe, être contraint de céder sa propriété, à moins que cela ne soit justifiée par une cause d’utilité publique.
Cette remise en cause s’effectue par la mise en œuvre de la procédure de l’expropriation pour cause d’utilité publique (ECUP) dont la régularité et la légalité sont subordonnées au respect de la double condition du versement d’une indemnité juste et préalable.
La loi n° 76-67 du 02 juillet 1976 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux autres opérations foncières d’utilité publique constitue sa base juridique au Sénégal. Cette disposition la définit à son article 1er comme : « une procédure par laquelle l’État peut, dans un but d’utilité publique et sous réserve d’une juste et préalable indemnité, contraindre toute personne à lui céder la propriété d’un immeuble ou d’un droit réel immobilier ». Elle ne définit pas cependant, la notion « d’utilité d’utilité publique » qui est voisine de « l’intérêts général » ou de l’intérêt public » mais les dispositions de l’article 2 de la loi énumèrent les ouvrages ou les réalisations pour lesquelles une expropriation peut être envisagée. Il s’agit des travaux ou les projets grevés d’intérêt général qui peuvent être entrepris par la puissance publique (l’État ou ses démembrements.
Lorsque la procédure porte expropriation d’une personne occupant légalement un bien immeuble du domaine privé de l’État, on parle de retrait pour cause d’utilité publique, de titre d’occupation de terrains domaniaux.
Une expropriation implique deux éléments distincts procéduralement, mais liés structurellement, que sont la phase dite administrative qui consiste à faire « constater légalement » la nécessité publique qui justifie cette expropriation, et la phase dite judiciaire portant sur la fixation de cette juste et préalable indemnisation des personnes qui voient leur propriété leur échapper par le biais de cette procédure.
Ce « constat » de la légalité de la nécessité publique prend la forme d’un décret de déclaration d’utilité publique pris par l’État suite à une enquête.
1-Conditions d’exécution de l’expropriation pour cause d’utilité publique
L’État qui est le seul à pouvoir user de ce mécanisme doit impérativement respecter les conditions légales. D’une part, il faut l’existence d’une utilité publique et d’autre part, une indemnisation de la personne expropriée.
L’utilité publique : avant qu’une telle expropriation soit envisagée, seules les prérogatives de puissance publique de l’État ne suffisent pas.
Il faudrait qu’il soit au préalable constaté un besoin d’intérêt général de l’œuvre pouvant légitimer l’expropriation. À cet effet, l’article 2 de la loi relative à l’ECUP a énuméré les ouvrages ou les réalisations pour lesquelles une expropriation peut être envisagée. Il s’agit des travaux ou les projets grevés d’intérêt général qui peuvent être entrepris par la puissance publique (l’État ou ses démembrements).
L’utilité publique au nom de laquelle l’expropriation est faite est déclarée par un décret. Ce dernier doit être précédé d’une enquête qui confirme l’utilité publique. Cette enquête est dite de commodo et incomodo prescrite par une décision du Directeur des Domaines et qui ne dure pas moins de huit (8) jours et au maximum trente (30) jours.
Le paiement d’une juste et préalable indemnité : cette indemnité doit équivaloir à la valeur du bien immobilier qui est saisi par l’État. Cette valeur sera celle de la date où l’autorité compétente a prononcé l’acte dit de « cessibilité ».
En principe, l’indemnité ne doit en aucun cas comprendre un dommage incertain.
Cependant, les titulaires des droits frappés par une procédure d’urgence et qui justifient d’un préjudice subi par la rapidité de la procédure peuvent bénéficier d’une indemnité spéciale.
2-Les biens concernés
La loi n° 76-67 du 02 juillet 1976 précitée parle de la cession d’« une propriété d’un immeuble ou d’un droit réel immobilier ». S’agissant de la propriété d’un immeuble, c’est le droit de propriété immobilière qui porte sur un immeuble bâti ou non bâti. Pour ce qui est des droits réels immobiliers, l’ECUP concerne le droit de jouissance que le propriétaire détient ou exerce sur un bien immeuble. Il s’agit notamment du droit d’usage, de l’usufruit et la servitude.
3-Procédures et formalités
Il ressort des dispositions de l’article 3 de la loi n° 76-67 du 02 juillet 1976 précitée que « l’utilité publique est déclarée par décret qui fixe le délai pendant lequel l’expropriation devra être réalisée. Ce délai ne peut être supérieur à trois (3) ans. Les effets de la déclaration d’utilité publique ne peuvent être prorogés par décret pour une durée au plus égale à deux ans.
Lorsque l’utilité publique est confirmée et déclarée, la cession des immeubles, parcelles peut être faite de manière amiable ou par voie contentieuse.
- Première étape : la procédure de cession amiable ou administrative
Le ou les expropriés qui reçoivent l’acte de cessibilité sous forme de décret et qui ne le conteste pas, doivent dans un délai de quinze (15) jours faire connaitre les titulaires de droits personnels ou réels de toutes nature sur leur(s) bien(s) immeuble(s) ou droit(s) immobilier(s). Ce délai est ramené à huit (8) jours en cas de procédure d’urgence.
A défaut de cette déclaration dans le délai prescrit, ils seront eux-mêmes chargés, envers les titulaires de ces droits, des indemnités qu’ils peuvent réclamer (art.8 al.2 de la loi relative à l’ECUP). A l’expiration de ce délai, selon le cas (15 ou 08 jours) et au plus tard avant l’expiration d’un nouveau délai d’un an, les titulaires de ces droits personnels ou réels non déclarés sont invités par l’expropriant (l’État) devant une commission de conciliation.
Il revient à l’Expropriant d’inviter l’exproprié (propriétaires ou titulaires de droits réels) à comparaître devant la Commission de Conciliation aux fins de réaliser un accord entre les parties sur le montant des indemnités d’expropriation.
Au cas où figure des biens immobiliers ou des droits réels des personnes mineurs, frappées d’une interdiction, présumées absente ou frappées de toute autre incapacité, leur (s) représentants peuvent, après autorisation du Président du Tribunal, consentir amiablement l’aliénation (la cessions) des biens des incapables.
En l’absence d’accord amiable, un procès-verbal est dressé à cet effet par la Commission, et l’Expropriant (l’Etat) a un délai de trois (3) mois pour saisir le juge de l’expropriation. Conformément à l’article 19 de la loi n° 76-67 du 02 juillet 1976 précitée, en cas de non-assignation par l’expropriant dans le délai imparti, l’exproprié peut adresser une mise en demeure à l’expropriant par acte extra judiciaire.
A ce stade de la procédure, la question à se poser est de savoir qui de l’exproprié ou de l’expropriant a la qualité pour saisir le juge ?
- Deuxième étape : la procédure contentieuse devant le juge
- Action en fixation de l’indemnité d’expropriation : qui a la qualité pour agir ?
Dans l’Affaire AK contre APIX SA du 21 janvier 2021, le juge a estimé qu’à défaut d’accord amiable sur le montant de l’indemnité d’expropriation et dans le délai de 3 mois à compter du procès-verbal de la Commission, il revient à l’expropriant de saisir le juge des expropriations, et de préciser dans l’assignation, le montant de l’indemnité offerte.
L’exproprié doit pouvoir justifier de sa qualité à agir. S’il s’agit d’héritiers, ils doivent apporter la preuve de leurs liens directs avec le propriétaire du Titre foncier. Lorsque le titre foncier est une copropriété, tous les héritiers des autres propriétaires doivent justifier de leur qualité à agir.
- Juge compétent
En cas de contestation ou de quelconque désaccord et que l’utilité publique est approuvée, l’expropriation et l’indemnité d’expropriation sont prononcées par un juge appelé juge de l’expropriation à qui le dossier sera transmis.
Ce dernier est un juge du tribunal de première instance du lieu de la situation de l’immeuble. Il est désigné pour le président de la Cour d’appel pour une durée de deux (2) ans. Il fixe une indemnité provisoire et plus tard définitive si les parties qu’il convoque ne parviennent pas à un accord. L’indemnité est fixée par une ordonnance non susceptible d’opposition mais d’appel dans des cas prévus par la loi.
- Sur quelle base est fixée l’indemnité d’expropriation pour cause d’utilité publique ?
L’indemnisation des expropriés fait en effet l’objet d’une procédure spécifique qui implique la saisine du juge de l’expropriation. Cette saisine doit être obligatoirement précédée de la notification aux expropriés (propriétaires et titulaires de droits réels dénoncés par celui-ci) d’une offre d’indemnisation de la part de l’expropriant dans le cadre de la commission de conciliation présidée par l’autorité administrative (préfet ou gouverneur).
Dans diverses affaires rendues devant le Tribunal de Grande Instance Hors classe de Dakar (Affaire Héritiers Diallo contre Etat du Sénégal du 15 juillet 2021, Affaire N.K contre SN HLM du 16 décembre 2021), le Juge rappelle que l’indemnité d’expropriation n’est pas fixée en fonction du prix du marché à la date d’aujourd’hui, ou du prix du mètre carré spéculatif, mais plutôt, sur la base d’un texte, en l’occurrence, le Décret n° 2010-439 du 06 Avril 2010 abrogeant et remplaçant le décret n° 88-74 du 18 janvier 1988 fixant le Barème du prix des terrains nus et des terrains bâtis, applicable en matière de loyer.
A la lumière de ces affaires, on est tenté de se demander si une indemnisation faite sur la base d’un barème non actualisé (décret qui date de plus de 10 ans) peut revêtir un caractère juste ?
En effet, l’indemnité est considérée comme juste que si elle permet de couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation. Autrement dit, elle doit permettre d’acquérir un bien identique à celui exproprié
Il faut également remarquer que l’estimation des biens ou des droits soumis à expropriation se fait en fonction d’une consistance du bien dont la valeur est pour sa part appréciée à la date du décret d’expropriation.
Ce principe a pour finalité de figer l’évaluation de la consistance du bien au moment du transfert de propriété. Il répond et correspond au souci de protéger l’expropriant de toute tentative de manipulation de cette consistance par un exproprié qui aurait connaissance d’une expropriation à intervenir, et c’est d’ailleurs pour cette raison que le législateur a précisé que des améliorations du bien postérieur au décret d’expropriation, peuvent ne pas être indemnisées s’il apparaît qu’elles ont été faites dans le but d’obtenir une augmentation de ces indemnités.
La prise de possession est soumise au versement effectif et préalable de cette indemnisation déterminée par voie d’accord amiable ou par voie judiciaire.
Toutefois, l’expropriant a la possibilité de prendre possession du bien exproprié en payant le montant de ses offres aux expropriés et en consignant l’éventuel surplus correspondant au montant qui sera déterminé éventuellement par le juge. C’est cette pratique qui est généralement et même systématiquement observée au Sénégal ou la prise de possession est toujours antérieure à l’indemnisation. (exemples : Autoroutes à péage, BRT, Aéroport Blaise DIAGNE).
En France, le Conseil constitutionnel a jugé, en revanche, que cette pratique était contraire aux dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen car même la simple consignation privait l’exproprié d’une indemnisation juste et préalable et qu’il n’est donc plus possible aujourd’hui d’envisager une prise de possession sans le paiement intégral de l’indemnité prévue par la décision du juge de l’expropriation, sauf cas spécifiques justifiant une consignation de celle-ci
Retard injustifié ou résistance abusive dans le paiement de l’indemnité d’expropriation : est-ce que l’exproprié peut intenter contre l’expropriant une action en paiement des dommages et intérêts devant le juge de l’expropriation ?
Dans une affaire rendue devant le Tribunal de Grande Instance Hors classe de Dakar (Affaire AN et MY contre l’Etat du Sénégal du 15 avril 2021) le juge de l’expropriation s’est déclaré incompétent pour connaitre de la demande de paiement en dommages et intérêts introduite par l’exproprié.
En effet, estime le juge, le contentieux post expropriation échappe à la compétence du juge des expropriations.
La demande en responsabilité et en paiement de dommages et intérêts doit être introduite selon les règles de droit commun prévues dans le code de procédure civile.
4-Les effets de l’expropriation
L’indemnisation de l’exproprié engendre l’enregistrement de l’acte de cessibilité par le conservateur. Cette formalité entraine le transfert du bien dans le domaine privé de l’État s’il n’est pas déjà immatriculé à son nom.
A compter de l’inscription de l’acte sur les registres de la conservation foncière, aucune modification augmentative de sa valeur, ni acte d’aliénation ne doit être envisagé vis-à-vis du bien.
Lorsque l’expropriation est assortie d’une indemnisation, elle est assimilée à une cession du bien immeuble ou du droit réel en question. De ce fait, l’exproprié indemnisé doit s’acquitter de la taxe de plus-value immobilière prévue pour les cessions de biens immeubles (art. 556 et 558-3 du CGI).
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