S’il est reconnu à l’employeur un pouvoir de direction et d’organisation de son entreprise qui lui permet, dans l’intérêt de cette dernière, de procéder à la modification des conditions de travail de ses salariés, il lui est interdit, en revanche, d’imposer la modification des éléments essentiels du contrat de travail sans le consentement préalable des concernés.
De manière constante, le juge sénégalais a qualifié de licenciement abusif, celui intervenu suite au refus du travailleur de rejoindre son nouveau lieu d’affectation (Cour d’Appel de Dakar Arrêt n° 487 du 23 août 2011), ou celui intervenu suite à une modification de l’emploi pour lequel le salarié a été recruté (Cour d’Appel de Dakar Arrêt n° 285 du 07 Avril 2011).
La lecture de ces décisions, combinée à l’analyse des dispositions de l’article L67 du Code du Travail et des articles 12 à 14 de la Convention Collective Nationale Interprofessionnelle (CCNI) du 30 décembre 2019 nécessite de revenir sur la portée de la modification, la procédure et ses conséquences pour chacune des parties, et les cas de mutation professionnelle prévus par la CCNI.
1. Qu’est ce qui peut justifier la modification du contrat de travail?
La relation de travail est loin d’être figée, elle évolue et peut amener chacune des parties à proposer des modifications du contrat de travail pour les motifs suivants cités par le législateur sénégalais tenant à :
- l’incapacité physique du travailleur ;
- la situation économique de l’établissement ;
- ou la réorganisation intérieure de l’entreprise
2. Qui peut modifier le contrat de travail ?
Aux termes des dispositions de l’alinéa 1er de l’article L67 du Code du travail, le contrat de travail peut être modifié à l’initiative de l’employeur ou du travailleur. Dans la pratique, l’employeur en est souvent à l’origine ; en effet, le contrat de travail est généralement considéré comme un contrat d’adhésion où la force de l’une des parties (l’employeur) prévaut sur l’autre.
3. Modification substantielle ou non substantielle du contrat de travail : comment s’y retrouver?
Une modification est dite « substantielle » lorsqu’elle touche à l’un des éléments essentiels du contrat de travail. L’article L67 du Code du Travail n’en donne pas une définition légale, et la jurisprudence en fait une appréciation au cas par cas.
Tout de même, nous pouvons retenir que les « éléments essentiels » du contrat de travail sont ceux ayant motivé fondamentalement le consentement des parties et conduit à la signature du contrat. En font partie :
– la rémunération
– la qualification professionnelle ou l’emploi tenu
– la durée du travail
-le lieu de travail (si le contrat ne contient pas une clause de mobilité)
– et plus généralement les attributions du salarié.
A l’inverse, la modification est dite « non substantielle », lorsqu’elle apporte de simples changements des conditions du travail et peuvent être imposées par l’employeur de manière unilatérale (le réaménagement des horaires de travail, le fait de confier une nouvelle responsabilité au salarié qui rentre dans ses qualifications professionnelles, le changement de lieu de travail d’un quartier à un autre etc).
4. La procédure et ses conséquences en droit
Le législateur sénégalais impose à l’employeur le respect d’un certain formalisme en cas de modification du contrat de travail.
L’art L67 du Code du Travail prévoit expressément que « toute proposition de modification de caractère individuel du contrat de travail apportée à l’un des éléments du contrat de travail doit, au préalable, faire l’objet d’une notification écrite ».
- Lorsque la modification substantielle émane du travailleur et qu’elle est refusée par l’employeur, la rupture du contrat de travail est imputable au salarié. Dans ce cas, nous estimons que le travailleur devra formaliser sa volonté par le dépôt d’une lettre de démission qui indiquera la durée de son préavis. Au moment de son départ, il recevra les droits légaux auxquels il a droit (indemnité compensatrice de congés), outre la remise du certificat de travail. Pour vous prémunir contre tous risques de contentieux, nous recommandons que la proposition de modification du travailleur soit adressée par écrit à l’employeur, de même que la réponse de l’employeur, même si par ailleurs, des discussions pourraient se tenir entre les deux parties.
- Lorsque la modification substantielle est à l’initiative de l’employeur, et qu’elle est acceptée, elle ne prendra effet qu’après l’accomplissement d’une période de préavis (un (1) mois pour les non-cadres et trois (3) mois pour les cadres). Également, l’écrit est recommandé pour préciser les éléments du contrat modifiés ; un Avenant pourra être conclu entre les parties et être déposé, pour visa, auprès de l’Inspection du Travail et de la Sécurité Sociale du ressort du lieu de l’établissement.
Précisons qu’il ne pourra être procédé à un déclassement du salarié, pour cause d’incapacité physique, que si ce dernier a subi un examen médical concluant à la nécessité de le changer d’emploi.
- Lorsque la modification substantielle est refusée par le travailleur, la rupture du contrat de travail est à l’initiative de l’employeur. Ce dernier sera tenu de respecter toutes les étapes de la procédure de licenciement et d’acquitter tous les droits légaux de rupture, outre la remise du certificat de travail au salarié.
- Lorsque la modification n’est pas substantielle. Dans ce cas, la modification peut être portée à la connaissance du travailleur par tous moyens, de préférence, par notification écrite ou par voie d’affichage. Le refus du salarié de s’exécuter l’expose à une sanction disciplinaire (réprimande, avertissement verbal ou écrit, mise à pied) qui pourra aller jusqu’au licenciement pour faute professionnelle.
5. Le cas des délégués du personnel
La question qui se pose est celle de savoir si la modification du contrat de travail du délégué du personnel par l’employeur requiert l’autorisation de l’inspecteur du Travail et de la Sécurité Sociale du ressort ?
Sur le fondement des dispositions des articles L211 à L219 du Code du Travail qui encadrent le licenciement du délégué du personnel, nous pouvons considérer que, dans le souci d’assurer leur protection, la modification de leurs contrats de travail doit être soumise à l’autorisation préalable de l’inspecteur du Travail et de la Sécurité Sociale, peu importe que la modification soit substantielle ou non.
La saisine pourra être effectuée par l’employeur par écrit, dûment motivé, permettant à l’Autorité d’apprécier l’opportunité ou non de la modification proposée.
En cas de refus de l’inspecteur du travail et de la sécurité sociale de valider la proposition de modification, l’employeur doit maintenir le travailleur aux mêmes conditions qu’antérieurement stipulées, ou mettre en œuvre la procédure de licenciement du délégué du personnel, tel que stipulé par les dispositions des articles L211 à L219 du Code du Travail précité.
6. Les cas de mutation professionnelle
La mutation est le fait pour le salarié de changer de poste de travail et/ ou de lieu de travail. En ce sens, elle constitue une modification du contrat de travail, règlementée par la CCNI.
- Mutation de la femme en état de grossesse
Aux termes des dispositions de l’article 14 de la CCNI, les femmes travailleuses en état de grossesse peuvent être mutées à un autre poste, en raison de leur état. Elles continueront à bénéficier de leur salaire antérieur pendant toute la durée de leur mutation.
- Mutation dans une commune ou localité différente de celle du lieu habituel d’emploi
Lorsque les mutations ne sont pas prévues dans les conditions d’engagement, la loi prévoit que transfert du salarié dans un établissement de l’employeur, situé dans une commune ou localité différente de son lieu habituel de travail, requiert son consentement.
- Mutation provisoire à un emploi relevant d’une catégorie inférieure
En cas de nécessité de service, ou pour éviter le chômage, la loi permet à l’employeur, après consultation des délégués du personnel, d’affecter momentanément un travailleur à un emploi relevant d’une catégorie inférieure à son classement habituel.
Dans pareil cas, le travailleur conservera le bénéficie du salaire perçu précédemment pendant toute la période de mutation qui, en règle générale, n’excèdera pas six (6) mois.
- Intérim dans une catégorie supérieure
Il est possible que le travailleur assure provisoirement ou par intérim un emploi comportant le classement de ce dernier à une catégorie supérieure. Sans être définitif, l’intérim ne peut dépasser la durée de préavis, attachée à chaque catégorie d’emploi, sauf prolongation en cas de maladie ou d’accident survenu au titulaire de l’emploi.
7. Quid du télé-travail ?
Comme tout salarié, le télétravailleur bénéficie des mêmes droits individuels et collectifs que l’ensemble des salariés de l’entreprise (formation, respect de la vie privée, santé et sécurité au travail…). De la même manière, il reste soumis au pouvoir de direction et d’organisation de son employeur.
En France, il est de jurisprudence constante que l’interruption du télétravail (s’il est instauré au préalable) ou le recours au télétravail (s’il n’était pas prévu) constitue une modification essentielle du contrat de travail (cass. soc. 13 avril 2005, n° 02-47621, BC V n° 137 ; cass. soc. 31 mai 2006, n° 04-43592, BC V n° 196 ; cass. soc. 13 février 2013, n° 11-22360 D ; cass. soc.12 février 2014, n° 12-23051, BC V n° 48 ; cass. soc. 21 septembre 2017, n° 16-18723 D).
L’employeur ne peut revenir unilatéralement sur le recours au télétravail dès lors que celui-ci a fait l’objet d’un accord avec le salarié (Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-43.592).
Il constitue une modification substantielle du contrat de travail que le travailleur est en droit de refuser (cass. soc. 13 février 2013, n° 11-22360 D ; cass. soc.12 février 2014, n° 12-23051, BC V n° 48).
Au Sénégal, des projets de textes sur le télé-travail sont en cours d’élaboration, mais, nous estimons, sur le fondement des dispositions de l’article L67 du Code du Travail, que le recours au télétravail ou sa suppression constitue une modification substantielle du contrat de travail, devant faire l’objet d’un accord préalable des parties, dès lors qu’il n’avait pas été prévu au contrat, ni dans un accord ultérieur.
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